Dès l’ouverture du premier camp de concentration nazi en 1933 et jusqu’en 1945, il existe plusieurs dizaines de milliers de productions artistiques concentrationnaires, créées pendant l’enfermement. Durant le conflit et à travers toute l’Europe, un certain nombre de dessins ont échappé à l’œil des bourreaux et ont été sauvés par leurs auteurs et leurs camarades. Ces productions se concentrent sur l’objet principal – le seul en fin de compte – qui leur est présenté : le corps. Affamé, battu, épuisé, malade, tatoué, abusé, parfois disséqué, le corps concentrationnaire s’oppose à la représenta- tion aryenne et fasciste de l’art héroïque, et de manière générale, contredit la représentation idéale d’un corps sain et harmonieux dans les beaux-arts. Ce livre présente plusieurs artistes, établis mais aussi méconnus : Violette Rougier-Lecoq, déportée à Ravensbrück, BorisTaslitzky, déporté au camp de Buchenwald, et le recueil K.Z. du poète italien Arturo Benvenuti, lequel collecte des dessins de femmes et d’hommes déportés de toute l’Europe. Leur analyse inédite conduit à affirmer une vision horizontale de l’histoire de l’art, au sein de laquelle l’art concentrationnaire trouve toute sa place. Cet ouvrage s’intéresse ainsi à la représentation impérieuse et urgente du corps maltraité, en dépit de la contrainte, et au choc émotionnel, visuel et artistique que la réception de ces œuvres a créé après-guerre.
Éva Raynal est maîtresse de conférences en littérature comparée à l’Université de Mayotte et membre du laboratoire RIRRA 21 à l’Université Paul Valéry Montpellier III. Ses recherches portent sur les écritures des déplacements trauma- tiques au sortir de 1945, au sein de la littérature européenne et extra-européenne. Elle s’intéresse également aux récits trauma- tiques féminins, à l’iconographie du corps persécuté, et de manière plus générale aux enjeux identitaires et mémoriels. Parus : Aller-Retour, Éditions Tirésias-Michel Reynaud, 2021 et Lire, réagir, réécrire (avec Gianluca Leoncini, collectif), Cahier d’Études Romanes, n° 50, PUP, 2025.